Oeuvres
Dessins - Encres Eaux fortes Craies
Portrait de Oumar par Jean-Louis Chambon
La Mauritanie, ce ne sont pas seulement les dunes du Sahara, ce sont aussi les rives fertiles du fleuve Sénégal, où commence l’Afrique noire. C’est son mélange depuis des siècles avec les Berbères et les Arabes qui a donné naissance à ce pays métis, aux confins du Maghreb et de l’ancien Soudan. Et c’est de là que vient l’un des peintres les plus africains de Nouakchott, le Peul Oumar Ball.
Artiste surdoué, il est à 24 ans reconnu comme l’égal des
peintres mauritaniens de la première génération, celle des années 1960. Dès
l’enfance, comme il s’exprime difficilement par la parole, ses mains ont trouvé
les matières qui parleraient pour lui, et à 9 ans, il commence à sculpter.
Encouragé et formé par son père Issa, peintre et photographe, il progresse
rapidement, et à 15 ans aborde la peinture. Puis l’élève dépasse le maître, et
se voit proposer des expositions dans la capitale. Il rencontre une clientèle,
la plupart du temps étrangère, admirative d’un talent si jeune, et si mûr.
D’une grande curiosité, il se livre à de constantes
recherches entre figuration et abstraction, entre la tradition africaine et ce
qu’il entrevoit de l’art occidental. Son travail le mène dans de
multiples directions, mais tout en cherchant sa voie, il reste sûr de son
trait et de ses couleurs.
Au fil des années, émergent de cette profusion créative les
contours d’un style, les obsessions d’une personnalité. On assiste au retour de
personnages aux membres filiformes, aux doigts interminables et arachnéens, qui
portent les couleurs pures et lumineuses de l’Afrique. Si les figures féminines
dominent, évoquées sous le visage de la maternité, surgissent aussi de jeunes
garçons solitaires, et abandonnés, qui évoquent les enfants de la rue à
Nouakchott.
Au-delà des expériences stylistiques, son œuvre reste
imprégnée de l’univers peul, avec ses costumes, ses parures, ses villages, ses
pêcheurs et ses gardiens de troupeaux. Comme si, vivant dans un faubourg de
Nouakchott à l’urbanisation de tôle et de béton, Oumar habitait en réalité une
brousse intérieure, une Afrique pastorale aux symboles intemporels. Celle où
tous les corps sont élancés et longilignes, et où la noblesse d’un peuple
nomade s’exprime jusque dans le drapé d’un boubou, ou la fierté d’une poitrine
au soleil.
Dans la tendance figurative de son œuvre, le corps est très
présent : sur ses toiles comme dans ses sculptures, il expose sa vérité,
et sa beauté. Bien qu’il vive sur une terre musulmane très pudibonde, Oumar est
profondément ancré dans l’esprit africain, et ne craint pas de représenter la
nudité. Il suit les pas de son aîné, le peul sénégalais Ousmane Sow, qui
n’hésite pas à sculpter le corps nu, faisant passer la statuaire africaine de
la tradition animiste à la modernité.
Et lorsqu’il transcrit
son univers dans le langage de l’abstraction, il fait preuve d’une liberté plus
grande encore: ses motifs habituels se fondent alors en teintes de terres,
de sable et de soleil, emportés dans un tourbillon de couleur où les pigments
semblent pris d’une nébuleuse folie.
Plus que tout autre artiste mauritanien, il utilise les
multiples supports qui lui tombent sous la main ; des fils de fer et
du papier mâché font une sculpture, des bidons de plastiques deviennent des
oiseaux et des mobiles, des vieux tee-shirts font office de toile. Pour donner
à ses tableaux un relief qui accroche la lumière, il mêle à l’acrylique des
débris de coquillages, du sable de mer, ou de la terre des pistes où sont
passés les troupeaux.
Même ses carnets de croquis regorgent d’œuvres en puissance.
Bien rangés dans ses cartons, ses dessins à l’encre présentent un condensé de
son univers ; on y voit des villages à l’horizon habité par la silhouette
d’un unique baobab, les rives du fleuve ponctuées d’élégantes pirogues, des
musiciens en transe, des potières rêvant sur leurs vases. C’est également sur
ce support que s’affine le regard d’Oumar sur les animaux familiers de la
brousse, comme les grands zébus aux cornes en lyre, devenus fins et
légers comme des danseurs, ou les chèvres maussades, tortueuses et sèches comme
de vieux branchages.
Ce monde pastoral, ces bergers peuls qui hantent sa mémoire,
Oumar est désormais régulièrement invité à les emmener avec lui en Europe, où
ses expositions et ses ateliers rencontrent toujours le succès. Fort de cet
univers qu’il transporte avec lui, Oumar n’est nulle part un étranger. En
France comme en Espagne, il est accueilli en ami.
Car ceux qui le connaissent et aiment ses tableaux savent
qu’entre la beauté de la toile et le sourire du jeune peintre, il n’y a pas de
distance, pas de frontière : à travers ses visions et ses souvenirs, c’est
bien lui-même qu’il ne cesse de représenter.
Jean-Louis Chambon